Jean-Pierre PAULORENA 01/07/2016

5 questions à Jean-Pierre Paulorena, joueur de Chistera Joko Garbi membre de la grande équipe des années 60-70 (avec Michel Duhalde et Louis Escapil-Inchauspé) et dirigeant de l’Aviron Bayonnais Pelote Basque, durant 36 ans au service du Club.

 

1/ Comment êtes-vous venu à la pelote ?

Je suis originaire de Garris. La maison familiale est en plein cœur du village. C’est naturellement au fronton et sous le préau de l’école que je joue avec les copains à main nue. Nous jouions très souvent, ce qui nécessitait un budget sandales en cordes conséquent; pour les faire durer en rendant la semelle plus solide, nous repérions les endroits dans les environs où le goudron des routes avait été récemment refait, et nous la trempions dans le goudron. Mon père avait dû arrêter, faute d’argent, de me les payer : j’avais fini par jouer pieds nus aux entraînements.

Je poursuis mes études à Saint-Palais et je participe aux compétitions scolaires avec Berrogain ou encore Jean Garat. Je joue peu à chistera Joko Garbi à ce moment là. C’est assez tardivement, que je me spécialise à Joko Garbi, quand je suis étudiant à Tarbes. Je prends une licence au club de pelote local, l’ « Amicale Basque de Tarbes » en 1952. Je suis remplaçant de mon équipe qui devient championne de France cadets ! Je reste 4 ans à Tarbes et je parfais ma formation ; en 1953, on monte même une équipe juniors de rebot et nous nous retrouvons en finale du Championnat de France à Hasparren. Je suis le seul joueur de mon équipe à s’être présenté ! En raison d’un quiproquo sur le lieu de rendez-vous (mes coéquipiers et les dirigeants s’attendaient à deux lieux de rendez-vous différents !) pour effectuer le covoiturage, mes coéquipiers n’arriveront jamais à la finale ! Le journal local évoque l’événement : « … Un grand bravo à Paulorena, seul joueur de Tarbes qui était fidèle au rendez-vous. ». J’avais tout de même disputé et gagné une partie de chistera Joko Garbi ce jour-là, mélangé avec mes 5 adversaires de rebot.

Par la suite, je fais mon service militaire à Bordeaux : on monte une équipe de Joko au Sport Athlétique Bordelais et je joue au rugby au SBUC. Fin du service militaire en 1957 : j’obtiens un emploi chez Dassault à Anglet et je signe à l’Aviron Bayonnais.

 

2/ Vous avez bien connu Jean Urruty.

Je n’ai pas eu vraiment d’entraîneur qui m’a appris le Joko Garbi. C’est en regardant les parties, notamment de grands champions, que j’ai pu acquérir la technique de ce sport. J’ai eu la chance de voir jouer les frères Urruty (Jean et Etienne), les frères Fagoaga, Boudon, Lemoine,…. Et je me suis beaucoup perfectionné en affrontant les joueurs confirmés qu’étaient les 4 frères Unhassobiscay, Michel Etcheverry, Barenne, Lascanoteguy, Mourguy,…

Mon père, facteur à Saint-Palais, connaissait Jean Urruty. Ainsi, ce dernier m’amenait chaque été au « Festival de la Pelote » à Saint-Jean-de-Luz où il partageait régulièrement l’affiche. Il jouait, devant un fronton comble, rempli d’estivants, une partie en 40 points à Joko Garbi puis enchaînait 40 autres points à Grand Gant. Je me souviens des adversaires ou équipiers comme Bichendaritz ou encore Jean-Baptiste Hirigoyen, qui fit ensuite une carrière à Paris comme chanteur d’opérette, marié à la célèbre cantatrice Maria Candido, tout en continuant à jouer longtemps à la pelote. Hirigoyen, beau joueur et beau garçon, attirait beaucoup de spectatrices. Après les parties, les uns lançaient leurs espadrilles au public, d’autres les vendaient aux plus offrants. Jean Urruty qui doublait, m’avait dit : « Tu sais pourquoi je joue aussi au Grand Gant ? A Joko, je ne pourrais faire qu’une partie par semaine alors qu’à Grand Gant je peux jouer tous les jours. »

 

3/ Quel a été votre parcours à l’Aviron Bayonnais Pelote Basque ?

J’ai été joueur de Chistera Joko Garbi de 1957 à 1976, et dirigeant de 1968 à 1993, de la Section Pelote de l’Aviron Bayonnais.

J’ai disputé 12 finales Seniors de Championnat de France Place Libre Chistera Joko Garbi 1ère série (7 gagnées), dont 11 entre 1964 et 1976, année de ma fin de carrière. Nous perdons la première en 1959 avec mes coéquipiers Phelippot (arrière) et Loulou Escapil-Inchauspé (avant-droit) . Loulou et Phelippot sont encore juniors. En 1964, Michel Duhalde intègre l’équipe au poste d’arrière. Il m’avait impressionné, 5 ans plus tôt lors de la finale de Championnat de France Cadets. Et de suite, c’ est le début d’une grande aventure jusqu’en 1976  avec Michel et Loulou ! De 1970 à 1974, nous jouons chez les Indépendants (3 titres), avec Robert Poulou qui remplace Michel Duhalde à l’arrière en 1972 et 1973. Je retiens d’autres bons souvenirs pelote. Notamment de parties de rebot disputées une saison avec l’équipe de l’Aviron composée de Labèguerie (1er gant), Loulou (3ème gant), Alchuteguy (buteur, et par ailleurs équipier premier 2ème ligne au rugby), Michel Duhalde (cordier) et moi en deuxième gant. Une autre saison, j’avais intégré l’équipe de Luzean, en 1er gant, où officiaient les frères Unhassobiscay (François, 2ème gant, Martin 3ème gant et Pierre cordier) ainsi qu’ Olasagazti au but ; à la surprise générale, nous avions battu la grande équipe de Pau de l’époque (Camps, Marcade, Tournerie…) en présence du maire de Saint-Jean-de-Luz, André Ithurralde, grand amateur de pelote, qui nous avait accompagnés. Il nous avait ensuite récompensés en nous invitant au restaurant. Par la suite, nous avions tout perdu ! , les parties se jouant aller-retour.

L’hiver, il n’y avait pas de Championnat de France Joko Garbi mur-à-gauche , mais des tournois étaient organisés, à Itxassou, Ustaritz, Salies… C’était le tournoi de l’Union Basque qui servait de référence comme tournoi officiel avec les meilleures équipes de club. J’ai disputé, au poste d’avant, 10 finales consécutivement entre 1965 et 1974, avec 5 titres : 2 avec Labèguerie (1968 et 1969 à Itxassou), 2 avec Duhalde (1970 et 1971 à Itxassou) et un avec Escapil-Inchauspé (en 1973 à Ustaritz). On s’entraînait à Plaza Berri ou encore à Itxassou.

Enfin, la pelote m’a permis aussi de faire des voyages. J’ai souvenir de celui à l’île de la Réunion en 1975 pour l’inauguration du fronton de Saint-Denis. Et puis, plus jeunes, en 1960, Phelippot Escapil-Inchauspé et moi avions été invités à disputer au Maroc des parties de démonstration (il y avait Pierre Loustalot de Saint Palais et Pierre Perret de Pau). Le Club, par l’entremise de son Président, nous avait prêté une voiture (elle-même prêtée par un contrebandier bayonnais) pour traverser toute l’Espagne… Ce fut épique ! Les accus avaient baissé (les vitesses étaient électriques) et on a fini au Maroc à rouler à 20 km/heure. On avait dû changer un pneu sur le parcours sauf que le garagiste nous avait vendu un pneu plus petit… Nous avions perdu Labèguerie en Andalousie, que nous avions retrouvé par la suite dans un hôpital de la région, accidenté, heureusement avec des blessures légères. Nous l’avions kidnappé à l’hôpital pour repartir rapidement …

J’ai connu deux présidents exceptionnels : Louis Etcheto et Max Duguet.

Louis Etcheto n’aimait pas « faire les  papiers », et c’est ainsi qu’il m’a attribué les postes de confiance de secrétaire et de trésorier en 1968, alors que j’étais encore joueur. C’était une autre époque : le secrétariat se tenait au Bar Etcheto où joueurs et dirigeants venaient prendre les instructions nécessaires à la bonne marche des compétitions (calendriers, pelotes pour jouer,…) ; quant à la trésorerie, c’était une simple boite qui faisait office de banque, conservée en lieu sûr au siège de la FFPB (Louis Etcheto était aussi Secrétaire Général de l’Institution) et c’est le Président qui me tenait au courant des entrées et sorties d’argent afin que je puisse tenir le livre de compte à jour. Avec le temps, nous avons pris conscience qu’il valait mieux mettre notre argent dans une banque ; ce fut fait à partir de 1974, et Jean Diarte est devenu trésorier.

Durant sa présidence, Louis Etcheto a eu le mérite de structurer le secteur sportif en créant en 1968 les écoles de Main Nue et de Chistera Joko Garbi sous la houlette respective de René Pauzat et Raymond Gavel. Il recruta aussi quelques bons joueurs lors de ses déplacements professionnels au Pays Basque intérieur et nomma des dirigeants compétents à la tête de chaque discipline. Les résultats sportifs sont venus récompenser cette évolution, avec des titres de Champion de France : d’abord à Main Nue, puis à Chistera Joko Garbi, Pala, Xare, et des titres de Champion du Monde à Main Nue et Pala.

Sous la Présidence de Max Duguet (à partir de 1979), le Club a continué à se structurer. Max Duguet a crée une section féminine, recruté massivement des dirigeants dont beaucoup d’anciens champions bleus et blancs, nommé un responsable des entraînements par spécialité et décidé de faire une AG chaque année. Cette réorganisation , formalisée sur une plaquette, a rapidement porté ses fruits. Les effectifs ont progressé pour passer d’une centaine en 1979, à 247 en 1992 dont 31 dirigeants !!!! L’éclosion de jeunes talents, issus des écoles de pelote, a eu des répercussions sur les résultats sportifs qui ont explosés. C’est sous l’ère de Max Duguet que j’ai eu le bonheur de connaître les heures de gloire de l’Aviron avec des « pics » de titres de Champion de France à 12 en 1980 et 1983, et 13 en 1986 ! Mais surtout, c’est l’exploit retentissant de l’Aviron qui a présenté ses deux équipes seniors à la finale de rebot à Tardets en 1987, qui m’a le plus réjoui : victoire de l’équipe 1 sur l’équipe 2 par 13 jeux à 12 après une splendide rencontre devant un public record.

En mai 1993, c’est à contrecoeur et avec un déchirement certain que je quitte l’Aviron qui était ma deuxième famille.

J’ai aussi eu la joie que mes trois fils pratiquent la pala ancha en trinquet à titre de loisir. Denis, le plus doué, a disputé 2 finales de Championnat de France de Joko (chez les poussins ) et Xare (en minimes) et une finale de ligue du pays basque à pala ancha trinquet (séniors 2ème série) ; il a aussi été sélectionné à Frontenis pour disputer les Championnats du Monde Espoirs en 1988 en France.

 

4/ Quelques personnalités vous ont marqué dans le milieu de la pelote ?

Maître Abeberry m’impressionnait : doté d’une grande intelligence, d’un esprit clair, il avait une grande capacité à faire la synthèse . C’était un visionnaire, attaché aussi aux traditions. Ce n’est pas pour rien qu’il avait été élu une année « meilleur dirigeant de sport français ».

Raymond Gavel était gentil avec tout le monde, d’une patience extraordinaire, notamment avec les Jeunes, avec toujours le sourire. Personnalité très modeste, très humble, doté d’une mémoire extraordinaire, tout le monde l’aimait, le respectait. Il était toujours disponible pour aider, organiser. Il amenait avec sa voiture personnelle les joueurs à qui il payait le goûter, à boire sur son argent personnel. Il était une grande richesse pour le Club.

Louis Etcheto était un conteur extraordinaire ; c’était un bonheur que de s’asseoir à côté de lui et de partager un repas. Il avait beaucoup d’humour avec toujours une chute amusante à son histoire. A son bar, depuis son comptoir, il avait cette faculté de pouvoir mener en même temps plusieurs conversations différentes avec chaque personne ou groupe. Notre Q G, c’était son bistrot rue Pannecau. Il était passionné de pelote. Il m’arrivait de jouer au petit coin avec lui : il y était très fort, battant même parfois des professionnels.Il était d’une adresse incroyable, mettant un effet très particulier à la pelote, ce qui désarçonnait. Dans son rôle de dirigeant, il était très diplomate et savait très habilement solutionner les conflits.

Jean Urruty, dont je parle précédemment, m’a marqué aussi. Je me souviens des jours de marché à Saint Palais, où il organisait des défis sur des coups particuliers, depuis le fond, dans son trinquet : filet direct, xilo,… Il gagnait souvent. C’était un spectacle à voir !

Les joueurs de l’Aviron qui m’ont le plus marqué dans la discipline de Chistera Joko Garbi qui m’est la plus chère sont : Fanfan Prat (le plus doué à Rebot et Joko), Antoine Mautalen (rebot), Beñat Sedes (Joko et Rebot), Jean-François Duprat (Joko et Rebot) et Manu Martiarena (Joko).

 

5/ Pouvez-vous nous parler de votre vision de la pelote ?

Même si je n’ai plus de fonctions officielles au sein du Club, j’ai toujours le cœur bleu et blanc, et je suis toujours les finales de la Grande Semaine, notamment celles où les équipes de l’Aviron sont engagées.

Je trouve que les pelotes utilisées actuellement (à Chistera Joko Garbi) sont plus vives qu’à mon époque, trop vives même, particulièrement dans les catégories de jeunes où c’est là qu’on apprend le plus. Cela entraîne beaucoup de fautes de gant ; ce n’est pas un bien pour la pelote. Même chez les seniors, les pelotes me semblent plus vives : de mon temps, rares étaient ceux qui dépassaient la ligne des 50 mètres au but. L’exceptionnel Fanfan Prat, encore cadets !, l’avait dépassée 2 ou 3 fois lors de la finale du Championnat de France seniors à St Palais. Aujourd’hui, c’est monnaie courante, et même parfois en chandelle.

Il y a aussi la spécialisation qui est importante. Pour moi, il faut 3 ans d’école de pelote pour acquérir toute la technique à Joko Garbi. C’est un sport difficile au départ ; beaucoup de jeunes se tournent vers d’autres spécialités plus accessibles. Le fait de jouer en plus à Pala ou Xare, « casse le bras », diminue la puissance du joueur de Joko. J’en ai fait moi-même l’amère expérience : après avoir disputé des tournois de pala ancha, le retour au Joko Garbi s’était avéré difficile : j’avais perdu pratiquement 10 mètres en longueur de frappe. Il m’avait fallu 1 mois et demi pour recouvrer toute ma puissance.

Je trouve aussi que les équipes de Joko Garbi Place Libre n’accordent pas à l’avant droit la place qu’il devrait avoir. Je me souviens que dans notre équipe à l’Aviron, nous faisions en sorte, notamment par notre disposition sur le fronton, d’ être sur la même ligne quand nous étions dans une période de domination durant le point : cela permettait à l’avant droit de couvrir l’autre avant et de pouvoir intervenir avant l’arrière. Je ne voulais pas que l’avant droit soit cantonné à un rôle secondaire, traditionnellement dévolu. Notre équipe était plus équilibrée et plus efficace. Je me souviens, à ce propos, du discours du maire de Saint Palais, Cescau, après une finale de Championnat de France gagnée en 1967 contre Ustaritz 50 à 39 : « J’ai déjà vu des joueurs meilleurs que vous, mais je n’ai jamais vu une équipe aussi homogène. » J’étais très content, il célébrait ma philosophie de jeu en équipe.

Enfin, je regrette que la Fédération n’organise plus des voyages pour les joueurs de Joko Garbi comme elle le faisait par le passé : ces voyages traditionnels permettaient de faire la promotion de la spécialité et de récompenser les joueurs les plus méritants qui avaient l’occasion de faire des parties de démonstration, notamment à l’île de la Réunion. Cela désavantage les joueurs de Joko Garbi par rapport à ceux qui pratiquent des spécialités où les échanges internationaux sont fréquents.