5 questions à Jean-Marc Bonnet, joueur de l’Aviron Bayonnais pendant plusieurs décennies, maintes fois Champion de France Senior à Paleta cuir et Pala corta, Champion du monde à Paleta cuir mur-à gauche.
1/ Comment es-tu venu à la pelote ?
J’ai été bercé très près du mur…, la maison familiale était mitoyenne du fronton d’ Hardoy. Le son de la pelote a rythmé mon enfance. Dès tout petit, je jouais des parties interminables à pala ancha pelote de gomme avec les copains du quartier.
Un jour, à l’adolescence, Alain Ithurbide, joueur de haut niveau à pala, passant par le fronton d’Hardoy, me repère : il me voit buter à 55 m, jusque dans l’herbe ! (à l’époque il n’y avait pas de limite au fond pour le but), alors que lui atteignait les 45 m . Impressionné par ma force de frappe, il me propose de jouer à Paleta Cuir, et m’incite à venir voir des parties pour découvrir cette belle spécialité : je tombe sous le charme du « clac » de la pelote lors des entraînements des sélectionnés de l’équipe de France (Berrotaran, Ithurbide, Milhet, Susbielle) pour le Mondial de 1974 (à Montevideo) au mur-à-gauche Atharri d’ Itxassou. Quelque temps après, je fais mes premiers entraînements à Itxassou (seul mur-à-gauche de 36 m à la norme internationale, du coin, à l’époque ; les autres atteignant et dépassant même 40 m) avec Roland Dufourg et Michel Laborde notamment, au sein de l’Aviron Bayonnais Pelote Basque.
2/ Pourquoi avoir choisi l’Aviron Bayonnais ?
Je suis né à Bayonne et ma famille est attachée au club. Mon père y faisait de l’athlétisme (1500 m et cross ) avec succès puisqu’il fut Champion Départemental ; alors qu’il faisait son service militaire, il avait participé à une course où il avait devancé un champion de l’époque (années 50) El Mabrouk (Vice-champion d’Europe du 1500 m et recordman de France . N.D.R.). Il avait de réelles qualités, très dur au mal, endurant, mais dut
sacrifier sa carrière sportive à l’entreprise familiale. Mon frère aîné, Christian, tenait de lui : il faisait de la rame à l’AB et s’essaya avec réussite au triathlon. De 6 à 15 ans, je joue au football comme ailier gauche à l’Aviron : nous devenons Champion de France Cadets
avec dans mon équipe un futur international, Félix Lacuesta. Je me débrouille bien, je rêve d’une carrière pro mais le destin cruel me rattrape, je perds Maman d’une maladie foudroyante en quelques mois. Toute la famille est bouleversée, je suis déstabilisé, mon jeune frère Charles a tout juste 11 ans, l’aîné 20, je ne peux partir loin d’eux. Je jouerai à la pelote basque à l’Aviron Bayonnais.
3/ Ta famille semble avoir joué un grand rôle dans ta carrière sportive ?
Oui. Papa m’a beaucoup soutenu, c’était mon premier supporter. Il pouvait être très dur dans la critique, ce n’est pas avec lui que j’allais avoir la grosse tête ! Il fallait toujours se remettre en question. J’attends encore aujourd’hui ses compliments. Malgré sa discrétion et sa pudeur, il a été très présent dans mon parcours. C’est lui qui m’amène en 1978 assister aux parties du Mondial au mur-à-gauche de Saint-Pierre d’Irube. Je suis
émerveillé par le jeu spectaculaire pratiqué : ces artistes argentins (Bizzozero, Leyenda) et mexicains (Garris, Musi) du bout de bois m’ impressionnent par leur dextérité, la vitesse et le « clac » de la pelote, leur agilité à ramener les errebots. C’est décidé, un jour je les rencontrerai et je les battrai !!!! J’ai 20 ans, je suis novice dans la spécialité, mais je suis animé de cette passion naissante, de ce formidable espoir, d’une grande motivation,
de ce défi que je me lance ainsi qu’à mon père. C’est aussi un moment de ma vie où le moral n’est pas toujours au beau fixe : j’ai arrêté le foot, je me cherche, je peux peut-être mal tourner, j’ai la rage : la perte de Maman sera aussi mon moteur. Je vis cette tragédie
comme une profonde injustice et je suis animé par une volonté farouche de revanche sur la vie qui ne m’a pas épargné. La pelote m’a sauvé de la haine qui m’envahissait. Taper dans la pelote c’était combattre cette immense douleur. Heureusement, la famille était soudée. Mon père me renvoyait l’image d’un gladiateur qui plie mais ne rompt pas devant les coups du destin. Mes frères , passionnés de sport, étaient présents, venaient
aux parties m’encourager. D’ailleurs, Christian était de conseils éclairés ; Charles, le cadet, était très doué pour la Pelote mais ne voulut pas poursuivre la pratique. Et puis il y a Brigitte, la maman de mes trois fils, que je dois remercier pour m’avoir « supporté ».
4/ Peux-tu nous parler de ton parcours sportif ?
Il fut long, je suis resté 20 ans au haut-niveau, au poste d’arrière. J’ai joué à paleta cuir et pala corta (fronton mur-à-gauche) et grosse pala (en fronton place libre) en France ; je me suis essayé à pala larga en jai alai en Espagne, expérience malheureusement éphémère qui m’avait beaucoup plu et que j’aurai aimé poursuivre, mais je n’avais pas la « carte »… Je suis Champion de France à cuir pour la première fois en 1980 avec J.M.
Etchart ; d’autres titres suivront à cuir et corta avec R. Dufourg, F. Prat, J.M. Etchart (une quinzaine !… N.D.R.).
Avec R. Dufourg, je suis aussi vice-champion de France à grosse pala contre P. Messanges/M. Laborde ; on se nourrissait de nos expériences respectives : lui à grosse pala, moi à cuir. Au niveau international, je suis sélectionné dans l’équipe de France de paleta cuir mur-à-gauche pour disputer 5 Championnats du Monde entre 1982 et 1998.
Ma première sélection date de 1982 au Mexique, à Mexico : je joue avec mon idole François Susbielle (J-P. Milhet, M.Laborde complètent la sélection), le colosse de Domezain, connu de tous comme « Sussu », contre les monstres locaux, héros de mes rêves d’adolescent, Pépé Musi et Josu Garris, approchés 4 ans auparavant
depuis les gradins. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, le souvenir est énorme, très fort en émotion. Sussu jouait pour s’amuser, distillant des « châtaignes » terribles dont il avait le secret. Il dégageait une telle aura, m’enlevant la crainte de l’événement par sa présence et ses paroles motivantes et réconfortantes alors que j’étais novice à ce niveau. J’ai encore en mémoire ses consignes à l’hôtel avant la partie : (Jean-Marc prend
la voix chaude et rocailleuse de Sussu, faisant revivre la scène avec émotion. NDLR) « Bon, Aldo (il me surnommait ainsi), on joue tranquille au fond, sur Musi, sans l’agresser », d’un ton volontairement apaisant, serein, réconfortant. Puis arrive la fin de l’échauffement sur la cancha, devant des gradins combles qui n’ont d’yeux que pour leurs favoris, dans une ambiance latino-américaine déjà surchauffée, et Sussu se rapproche et me donne ses dernières consignes, la voix déterminée, prêt à partir au combat, ses longs cheveux bouclés en bataille : « Aldo, tout ce que je t’ai dit à l’hôtel, dès l’aube, c’est des conneries , tu oublies !! Maintenant, on tape tout comme des braaanques !!!! ». Finalement, après une partie homérique, nous perdons 33 à 35. Le souvenir
est impérissable. Notre beau parcours est récompensé par une médaille de bronze.
En 1986, à Vitoria en Espagne, je joue avec Fanfan Prat. Nous battons l’ Argentine de « Moncho » Ramirez en quart, le Mexique (Garris / Musi) d’un point en demi-finale, mais échouons devant les Grands d’Espagne (Juan-Pablo et Oscar Insausti). Vice-champions du Monde, on se rapproche. En 1990, nous obtenons le bronze au Mondial de Cuba.
En 1994, en France, au fronton Belcenia d’Hendaye, c’est la consécration suprême avec mes camarades I.Arrossagaray, T. Nasciet et C. Latxague : la médaille d’or tant convoitée est remportée, après tant d’efforts et tant d’années : nous sommes Champions du Monde ! Incroyable souvenir. J’obtiens ma dernière sélection à 40 ans, pour le Mondial de 98 à … Mexico : la boucle est bouclée, après 16 ans d’équipe de France. Par la suite, je deviens entraîneur de l’équipe de France de paleta cuir mur-à-gauche pendant 6 ans.
Ma participation aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992 est un moment à part dans ma vie de sportif : moment rare, exceptionnel même quand on joue à la pelote (Elle n’a été choisie comme sport de démonstration que trois fois dans l’Histoire après Paris en 1924 et Mexico en 1968.N.D.R.). J’ai l’immense bonheur d’avoir été retenu dans la sélection française de paleta cuir. C’est un privilège pour moi, passionné de sport. Cela a quelque chose d’irréel pour le petit joueur de pelote du fronton d’Hardoy, de pouvoir côtoyer tous ces sportifs du monde entier, de serrer la main et prendre des photos avec Sergueï Bubka, Carl Lewis et Michael Jordan, de participer au défilé inaugural dans le stade olympique. Je réussis à me procurer des places pour assister aux épreuves d’athlétisme : j’en prends plein les yeux ! J’ai le regret de ne pas avoir pu partager
ces moments d’exception avec mon père et mes frères, grands fanas comme moi, retenus au pays par leurs obligations professionnelles. Ce sont des souvenirs inoubliables.
5/ La pelote, ce fut aussi de belles rencontres humaines ?
Oui, mais pas toujours. J’ai encore sur le coeur la confiance trahie par A. Ithurbide dont les manoeuvres, peu honorables et guidées par la vénalité, au détriment de ses partenaires de club, m’ont déçu et mis très en colère. Heureusement que la passion nous animait car son management nous a causé beaucoup de tort. L’homme n’était pas à la hauteur du grand joueur de pelote. Là est le seul point négatif qui me vient à l’esprit, car la pelote m’a permis de rencontrer des gens très bien avec lesquels j’ai partagé de grands moments de convivialité après les parties autour d’un (ou plusieurs) verre, d’un bon repas, de longues soirées à refaire le monde, mais aussi des émotions fortes sur la cancha dans les victoires comme dans les défaites (pour lesquelles je n’ai pas de mauvais souvenirs ; je passais vite à autre chose). J’ai un souvenir ému de Sussu : un géant, par son humanité, sa philosophie de vie, son charisme. Cela faisait de lui un être à part, aimé de tous, épicurien amoureux de la vie. Nous partagions aussi cette meurtrissure du
coeur d’avoir perdu chacun un être très cher à l’adolescence. Cela nous avait encore plus rapproché. J’ai eu le grand honneur de disputer la partie célébrant son jubilé à Orthez, avec les monstres de la spécialité : avec Oscar Insausti, nous avions battu 40 à 23 l’Argentin Moncho Ramirez et le Mexicain Pepe Musi. Un formidable moment d’amitié.
L’Hendayais Xavier Goicoechea par ses bonnes relations avec les organisateurs me faisait jouer en Espagne, à Brive, Toulouse,… Je lui dois beaucoup : il m’a permis de me mesurer aux meilleurs hors Mondial et ainsi de me confronter à une forte adversité pour pouvoir progresser.
Je voudrais évoquer aussi mes camarades de club, et ils sont nombreux : à l’époque, nous avions jusqu’à 7 équipes inscrites en Championnat. Les rapports étaient bons mais l’esprit de compétition régnait lors des entraînements : personne ne voulait perdre, c’était la guerre sur la cancha. Il y avait les Prat, Cellan, Pétrissans, Lerchundi, Laborde, Dufourg, Milhet, Etchart, Hourdillé, Bolajuzon, Cordobès, Darrambide, Paul,
Duhau, Meilhan, Elosegui, Courtiague et Poeymidou avec lesquels j’ai disputé mes premières parties à grosse pala, …
Je n’oublie pas le président Max Duguet, très gentil, toujours prêt à régler avec efficacité et célérité les problèmes, les soucis, dont on lui faisait part ; ou encore les invincibles du Xare, P. Lasarte et M.Garbisu.
Parmi mes adversaires au niveau national, je citerais : le « bûcheron » Patrick Messanges, arrière de grosse pala qui m’a marqué ; le puissant Thierry Bordes, l’handballeur pilotari ; Iñaki Arrossagaray, petit Mozart de la paleta cuir doté d’une superbe gauche, l’égal d’Insausti avec 20 cm et 20 kg de moins ; Thierry Nasciet, très
bon joueur toulousain, passionné de pelote ; j ‘ai une pensée aussi pour Jean Talgorn qui vient de nous quitter ; je ne pourrais pas conclure cette liste non exhaustive sans évoquer « mes frères d’armes », arrières gauchers comme moi, que j’ai longtemps affrontés dans les compétitions nationales tout en partageant les aventures internationales : Jean-Jacques Garra et Carlos Galanena.
Lors de mes sélections, j’ai aussi rencontré des joueurs d’autres spécialités qui m’ont marqué comme : le puissant maniste D. Mutuberria, champion du monde à deux reprises (82 et 86) contre les Espagnols dans leur chasse gardée du Mur-à-gauche dont la dernière fois dans leur « jardin » de Vitoria ; le grand champion Pampi Laduche m’a permis d’apprendre un peu plus la science du jeu ; j’apprécie aussi « Xala », Yves
Sallaberry, de par sa gentillesse ; enfin, je voudrais évoquer la mémoire et remercier Jean-Pierre Erviti, ancien DTN de la Pelote, qui m’a beaucoup aidé pour pouvoir concilier les contraintes des sélections et du travail.
Je finirais par parler des amitiés que j’ai nouées lors des différentes compétitions internationales. Oscar Insausti était un phénomène, sans égal, champion à cuir, corta, larga, en individuel, par équipe, chez les amateurs, chez les pros, dont l’humilité était l’égale de son énorme talent. Je rencontrais aussi à pala corta les Espagnols Garrido et Daniel, plusieurs fois champions du monde. Je suis toujours en relation avec les
Mexicains Josu Garris et Pepe Musi, des seigneurs de la pelote. Grands par leur talent sur la cancha, par leur générosité et gentillesse en dehors. Je les recevais chez moi après les Mondiaux quand ceux-ci se déroulaient en Europe ; cela nous permettait de disputer des parties exhibition et de mieux nous connaître dans un autre contexte que la compétition. J’ai aussi été invité chez eux au Mexique.L’ Argentin Moncho Ramirez, très gentil aussi, m’a laissé le souvenir des pelotes les plus rapides auxquelles j’ai été confronté : t’avais intérêt à serrer les cale-pieds avec ces pelotes supersoniques ! Enfin, comment ne pas évoquer le phénomène argentin Ricardo Bizzozero (8 fois champion du monde entre 1970 et 1982 dans des disciplines aussi diverses que le xare, la paleta cuir trinquet et mur-à-gauche et multiples fois médaillé (il faut ajouter la pala corta).N.D.R.)
Ricardo Bizzozero c’était l’élégance, le talent à l’état pur.
Tous ces grands joueurs ont alimenté les rêves d’un jeune homme qui les a un jour réalisés…