5 questions à Michel Garbisu, Bayonnais du bord de Nive, joueur de Chistera Joko Garbi et de Xare du Club, à la carrière éblouissante
1/ Quand et comment as-tu débuté la pelote basque ?
Petit, j’avais besoin de faire du sport . Bébé, j’avais dû être opéré par le chirurgien Henri Grenet qui m’a sauvé la vie. J’étais un peu chétif et ma mère m’emmenait jouer régulièrement avec elle, à main nue, au fronton du stade Jean Dauger. C’est là que nous rencontrions M. Gavel . C’est naturellement qu’à 8 ans, mes parents m’inscrivent à l’école de pelote de l’ Aviron pour jouer à chistera joko garbi les mercredis et samedis après-midi. Je deviens champion de France minimes (1970) puis cadets (71 et 72). Je gagne aussi avec mes équipiers les titres de rebot juniors en 1972 et 1973. Je pratique en parallèle pendant ces années-là le basket-ball à l’Aviron Bayonnais.
Ma famille a un attachement fort avec la Ville et le Club que je garde encore aujourd’hui. Nous habitons quai Jauréguiberry en bord de Nive, où mes parents tiennent des commerces : un café bar pour ma mère, un commerce de fruits et primeurs pour mon père et mon grand-père. Mon père a été Champion de France d’Aviron avec le fameux 8 dont faisait partie Frédo Herrera.
2/ Pourquoi avoir choisi le xare ?
En 1974, j’ai 19 ans et l’entraîneur-joueur Pampi Hiriart m’encourage à jouer au xare, au regard de mon adresse à chistera joko garbi où j’avais un petit déficit de puissance. A xare, ce n’est pas le plus puissant qui gagne : c’est un jeu de finesse, fait de carambolages, qui permet d’utiliser la vitesse de pelote adverse dans une enceinte comme le trinquet offrant une grande variété de coups. Je jouerai à l’arrière.
Le xare me permet de voyager pour faire des tournois et progresser au contact des meilleurs mondiaux en Argentine, Uruguay, Espagne. Je reviens de mes voyages argentins les bagages remplis de xare fabriqués par Gregorio Ochoa (Pas de fabricant en France à ce moment-là). J’emmenais une dizaine de xare (que j’avais travaillés préalablement pour rendre la corde plus souple tout en ayant une bonne élasticité) à chaque grande compétition. Jakes Saldubéhère se lance dans la fabrication de l’instrument et deviendra mon fournisseur.
Après ma carrière de joueur , je deviens entraîneur de l’Equipe de France de xare entre 2000 et 2006 avec à la clé deux titres mondiaux remportés à Pampelune et Mexico.
3/ Les invincibles Lasarte-Garbisu…
Patrick Lasarte est comme moi un joueur de chistera joko garbi du Club et c’est Pampi Hiriart qui l’amène au xare. Je jouais avec Fanfan (Prat), et nous nous entraînions avec Jean-Bernard Etcheto et Patrick. J’ai des souvenirs forts de ces entraînements disputés, avec un niveau très élevé et des parties serrées en 50 points. Rapidement, je fais équipe avec Patrick (Pendant une dizaine d’années, l’équipe régnera sur la spécialité nationalement puis internationalement). Nous avions une très grande complémentarité qui permettait à chacun de rattraper les baisses de régime de l’autre. Le premier grand souvenir que j’ai, concerne le tournoi Balda en Argentine en 1979. C’est la première fois que je traverse l’Atlantique. Nous gagnons le tournoi réservé aux jeunes mais aussi le tournoi seniors contre les maîtres de la spécialité, Bizzozzero-Elissalde, par 50 à 49.
Entre 1976 et 1987, nous remportons 12 titres de Champions du Pays Basque et de France pour l’Aviron, ce qui ne plaît pas forcément à tout le monde : il nous est arrivé plusieurs fois d’être hués par les supporters de l’équipe adverse car notre domination agaçait. Cela nous donnait un surcroît de motivation.
A l’International, nous remportons en Argentine les trophées Balda (4), le tournoi du Tricentenaire en Uruguay, divers tournois internationaux dont les Mini-Mondiaux en France et Espagne. En 1982 puis 1986, nous sommes Champions du Monde à Mexico et Vitoria. (J’obtiens aussi une médaille d’argent au Mondial de 1978 en France.)
Malheureusement, je dois arrêter brutalement ma carrière en 1987, à 32 ans, à la suite d’un accident de jeu lors d’un entraînement.
4/ Quels sont les moments forts que tu retiens de ta riche carrière ?
Je commencerai par la fin… et mon grave accident qui conclut très brutalement et très douloureusement ma vie de pelotari : désormais je ne jouerai plus à la pelote qui occupait une grande place dans ma vie.
J’ai toujours voulu beaucoup m’entraîner pour être au top : ce 31 décembre 1987 ne déroge pas à la règle . Au cours d’un échange, je prends une pelote dans l’oeil. Je comprends vite la gravité de la blessure : je ne vois plus rien. Le diagnostic tombe : les ligaments sont arrachés, il y a un risque que l’oeil s’enfonce au fond de la cavité car il n’est plus retenu ; je dois obligatoirement dormir à plat ventre pour éviter cette conséquence ce qui me procure un stress supplémentaire pendant des mois. Je ne peux plus jouer à la pelote, j’ai l’impression que ma vie s’arrête. Au-delà de la douleur physique, je subis un handicap, je vis dans l’angoisse de perdre complètement mon oeil. Pendant 10 ans, je vis un calvaire. Après de nombreuses consultations de médecins spécialistes sur Bayonne et Bordeaux, je suis opéré deux fois à Paris par un professeur spécialisé dans les blessures des boxeurs. Il me répare les ligaments, sauve mon oeil mais ma vision demeurera définitivement à moins d’un dixième. J’étais au sommet de ma carrière, dans la plénitude de mes moyens (32 ans), quelques mois après mon second titre de Champion du Monde avec Patrick. Après l’accident, pendant longtemps, je ne pus rentrer dans un trinquet, aller voir les parties tellement j’avais la boule au ventre.
Les moments difficiles, c’est aussi la perte de personnes avec lesquelles j’avais partagé des moments intenses et qui étaient devenues des amis. : avec Jean-Pierre Erviti (premier DTN de la Pelote Basque et ancien champion de main nue) et Michel Etchemendy (joueur puis entraîneur national de xare, dirigeant de la FFPB), les messages de la Pelote Basque se transmettaient d’un simple regard …
J’ai aussi un profond regret : je n’ai pu partager les joies immenses de ma réussite sportive avec mon père, que je perds à l’âge de 12 ans. Je partageais avec lui cet amour pour l’Aviron Bayonnais, dont il avait été un Champion de France d’Aviron dans la catégorie reine du “8”.
Mais la pelote, c’est aussi et surtout de très beaux souvenirs sur et en dehors de la cancha avec des amitiés fortes qui se sont nouées .
En 1979, lors de notre premier voyage en Argentine, nous (Patrick et moi) sommes reçus par Juan Labat. J’ai ressenti beaucoup d’affection de sa part , il nous considérait comme ses fils. Nous avons pu progresser en côtoyant le très haut niveau de la spécialité et en bénéficiant des conseils très précieux de cette figure du xare argentin. J’avais été très impressionné par ce trinquet du club de Gure Etchea à Buenos-Aires : au dernier étage, se trouvait un fabricant de xare qui nous approvisionnait; il y avait aussi entre autres, un coiffeur , une piscine, des vestiaires tenus par un responsable qui nettoyait les affaires des joueurs, préparait les pelotes. Le grand joueur Leyenda avait commencé comme responsable de la propreté du trinquet : il était payé pour passer la serpillère, mais aussi compter les points. Il pouvait, à l’occasion, compléter une équipe quand un joueur manquait : c’est comme cela qu’il avait progressé et s’était révélé au point de devenir le partenaire de Bizzozzero.
En 1982, nous sommes Champions du Monde en mettant fin à l’invincibilité de l’Argentine à xare. J’éprouve d’abord une grande joie. Mais le fait de les avoir battus et d’avoir provoqué un drame national dans le monde argentin de la pelote, alors qu’ils nous ont accueillis à bras ouverts en 1979 et nous ont permis de progresser, me procure des remords. C’est le sport, et l’immense joie d’être rentré dans l’histoire du xare a surpassé cela.
C’est le titre de 1986 que je savoure le plus car les Argentins ont aligné le grand Bizzozzero pour récupérer le titre: nous sommes attendus ! Et puis, c’est un doublé. Louis Etcheto m’avait dit après la victoire de 1982 : ” C’est très bien d’avoir été Champion du Monde, mais le plus dur est de le rester.” Ces paroles m’avaient marqué et avaient été un des moteurs de ma motivation; le jour de la finale, j’ai eu une pensée pour lui. Je me souviens d’une grosse frayeur en demi-finale: j’avais égaré mes lacets de chaussures de sport et un membre de la délégation avait dû me dépanner. En fait, mes lacets étaient restés au fond de ma chaussure, provoquant une énorme ampoule durant la partie. Au sortir de la cancha, j’avais le pied en sang et un doute planait sur ma participation à la finale. Le DTN Jean-Pierre Erviti avait alors pris sa voiture pour faire l’ aller-retour Pau-Vitoria (plus de 500 kms A/R), afin d’aller chercher, auprès du staff médical de la grande équipe de basket de l’Elan Béarnais, des pansements spéciaux qui m’avaient bien rendu service pour jouer la finale !
J’avais toujours plaisir à disputer à Irun le tournoi du club local, Kurpil Kirolak. C’était l’occasion de connaître et rencontrer le petit monde des instruments de trinquet, Français et Espagnols ; cela finissait toujours par un repas gargantuesque.
Enfin, je voudrais évoquer aussi la réception en 2003 à l’Elysée, des médaillés mondiaux de l’année, par le Président Jacques Chirac, à laquelle j’avais eu l’honneur et la chance de participer. Je me retrouvais au milieu de champions comme les basketteurs Tony Parker, Boris Diaw, les athlètes Stéphane Diagana, Eunice Barber, Christine Aaron, ou encore la judokate Marie-Claire Restout. Un très grand souvenir.
5/ Dans ton parcours de pelotari, y a-t-il des personnes qui t’ont particulièrement marqué ?
Au Club, d’abord :
J’ai un respect total pour Monsieur Gavel. Il était très proche des joueurs. D’une simplicité et gentillesse hors du commun. Il arrivait à faire progresser les joueurs avec douceur, sans élever la voix.
Pascal Etchepare nous a enseigné toutes les règles complexes et les subtilités du jeu de rebot, alors que l’on débutait avec les Frères Saint-Jean, Michel Etchepare, Michel Etcheverry.
Nous aimions bien aller voir Louis Etcheto, Président du Club, chez lui au dernier étage du bar Louis, pour avoir ses commentaires sur les parties de pelote qu’il avait suivies : nous l’écoutions religieusement nous prodiguer ses conseils avisés qui nous permettaient de progresser. Et puis, il terminait toujours avec des anecdotes personnelles sur la pelote. Nous vivions des moments très agréables en sa compagnie.
J’ai souvenir aussi de “Bota”, le journaliste Roger Lagisquet, bon vivant et grand amateur de pelote, qui nous suivait.
A l’International :
Je considérais Juan Labat comme un second père. Figure de la pelote en Argentine, grand joueur des années 60-70 puis entraîneur respecté, il était très attentif à nous, très serviable, et nous a permis de progresser grandement lors des entraînements au trinquet “Gure Echea” à Buenos-Aires. Je lui dois beaucoup.
La fierté de ma carrière sportive internationale est d’avoir conservé à ce jour les contacts depuis 1979 avec les argentins “ennemis” dans la cancha mais de grands amis dans la vie privée : Riccardo Labat dit MONO fils du grand Juan Labat dit NEGRO, Roberto Elias et Eduardo Frigerio.
J’avais aussi plaisir à discuter et partager les bons moments de la pelote et ses à-côtés, avec les Iraundeguy, Père et Fils, grands dirigeants de la Fédération Internationale de Pelote Basque.